Patience, avec le temps, l’herbe devient lait.
Proverbe chinois
Ah cette sagesse m’émeut toujours. Le concept même de patience n’est pas quelque chose d’inné pour moi. J’apprends. Je suis de celles qui adorent faire des surprises à mon entourage. Et qui n’arrive pas à ne pas évoquer le fait que peut-être j’ai fait une surprise. Mais apprendre à cuisiner, à transformer de la farine et de l’eau, forcément cela t’apprend la patience. Faire mon premier fromage aussi, au détour d’un week-end ardéchois chez des amis qui ont des chèvres, m’a réconcilié avec la patience aussi. Non, tu ne m’auras pas ! Je ne te raconterai rien d’autre de ce coin magique près des Vence en Ardèche. Si ce n’est, que cette découverte du terroir français, de cette enclave un peu hors du temps, nous a donné de quoi réfléchir…Bienvenue dans ce nouveau numéro FoodMood entre découvertes juridiques et découvertes culinaires françaises !
Milky way
Comme on l’a vu ensemble il y a quelques semaines, à l’origine de tout fromage, nous avons du lait. Et je suis étonnée que tu n’aies pas fait preuve de ta criticité habituelle (ah bah si, je te connais !)…De quel type de lai il s’agit ? Ah là on rentre enfin dans les débats qui nous passionnent en France. Lait cru ? pasteurisé ? Lait thermisé ou encore micro-filtré ? Ok,mettons de l’ordre dans tout ça…
Lait cru : il n’a subi aucun traitement thermique, qui nécessite qu’il soit utilisé au max 48h après la traite. C’est un lait qui a une belle flore microbienne, qui joue un rôle important dans l’affinage du fromage et également dans ton corps !
Lait thermisé : procédé qui n’est utilisé que pour la production de fromages. Ici, le lait est chauffé pendant 15 secondes entre 57°et 78° degrés. Ceci permet de tuer les germes dangereux, tout en gardant « les bons », qui favorisent un bon affinage et à développer le goût. L’inconvénient, c’est que ce procédé nécessite l’achat d’un matériel onéreux et que peu de producteurs peuvent se le permettre.
Lait pasteurisé : notre joli lait est ici cuit pendant 15 à 20 secondes à une température entre 72 et 85 degrés . On élimine tout risques sanitaires. Ca oui….Et tu as aussi un lait qui ne contient plus rien de vivant….On va donc obtenir des fromages uniformes et peu favorable à un bon vieillissement.
Lait microfiltré : hop, c’est THE méthode des industriels. Elle a été développée pour permettre un traitement à grande échelle. On traite d’un côté la crème du lait entier pour la pasteuriser et de l’autre le lait crémé est filtré…On peut ainsi doser la part de crème dans le produit final…
Froma-giférons
Comprendre les origines du lait et de son traitement, c’est l’une des clés d’entrée pour comprendre les débats et autour des AOC-AOP notamment. Il a fallu légiférer pour protéger.
Bon mais revenons un peu sur ce que cela c’est. Ca part d’une bonne idée : protéger une recette d’un terroir, pour empêcher les copies.
AOC : Appellation d’origine Contrôlée. Elle protège les produits français, sur le territoire français.C’est l’Institut National de l’origine et de la qualité (INAO) qui attribue le titre. L’AOC certifie que le produit a été produit selon un savoir-faire reconnu et dans une zone géographique qui donne toutes les caractéristiques au produit. L’AOC répond à un cahier des charges et fait l’objet de contrôle. Le premier fromage AOC ? Le roquefort !
AOP : Appellation d’origine Protégée. Crée en 1992 est l’équivalent européen de l’AOC, il protège les produits sur l’ensemble du territoire européen.
IGP : Indication Géographique Protégée, elle identifie un produit agricole, brut ou transformé, dont la qualité, la réputation ou d’autres caractéristiques sont liées à son origine géographique et s’appliquant aux secteurs agricoles, agroalimentaires et viticoles.
En France nous avons aujourd’hui 46 fromages AOC-AOP et 9 IGP, répartis par type de lait (vache, chèvre et brebis…oui bah je te précise au cas où hein !).
Bon, tu te doutes que ce n’est pas si simple. Parce qu’il est intéressant aussi, de comprendre ce qu’il se cache derrière… :
Fromage fermier : le fromage est élaboré par un agriculteur producteur-transformateur fermier communément nommé producteur fermier. Le lait est issu de son troupeau. Ce fromage, s’il respecte les normes d’hygiène de son territoire, peut être commercialisé.
Fromage artisanal : l’artisan achète le lait aux producteurs de lait
Fromage industriel : l’usine achète le lait aux agriculteurs

Dis-moi ton AOP, je te dirai qui tu es…
Et puis au fil des années, certains cahiers des charges qui définissent certaines AOC ont été modifiés au profit des lobby et industriels, pour favoriser une production uniformisée, réduisant les coûts en prônant l’utilisation de lait pasteurisé notamment (soit disant pour éviter des risques alimentaires, mais c’est surtout poussé par une réduction des coûts de fabrication). L’AOP a donc facilité, parfois, l’essor de fromages avec moins de caractère, sans les imperfections qui le rendent unique et ne défendant plus de tout les traditions d’un fromage artisanal, au lait cru. Acheter un AOC -AOP n’est donc pas forcément gage de qualité ou de fabrication artisanale et fermière. Il existe aujourd’hui en France des AOP qui ‘ont quasiment plus de productions de fromages au lait cru car les petits producteurs n’arrivent pas à faire face aux industriels implantés sur le territoire.
Mais nous restons en France… et il y a aussi des AOP qui résistent, comme le pélardon, le laguiole, la rigotte de Condrieu ou encore le pélardon. Et puis saluons les femmes et homme de l’Est de la France, qui défendent bec et ongles leurs productions au lait cru, avec une tradition d’alpage (pâturage en montagne) : vives les beaufort, abondance, comté, morbier et autre reblochon !
Si tu as envie d’aller plus loin sur ce sujet passionnant: France, ton fromage fout le camp et si tu as envie de comprendre la bataille qui s’est jouée ces deux dernières années autour du cahier des charges du Camembert de Normandie: je te conseille cet article.
Mais…comment choisir ton fromage ?
Que faut-il retenir de tout ça ? Lire, changer et parler ! Lire les étiquettes, comme d’habitude, pour savoir ce que tu achètes. Et essayer de te rendre sur le marché le plus près de chez toi, identifier la banc de fromages qui te semble le plus simple et parler avec le producteur et/ou fromager, le questionner sur l’origine du fromage, le lait utilisé,etc…Bon cette méthode marche 9 sur 10. Des fois, tu tombes sur un petit coquin, qui même s’il est artisanal, il ne perd pas le sens des affaires et peut t’avoir un peu…Mais ça c’est pour un prochain numéro sur les arnaques !

A la recherche de la fourme perdue…
Et pour finir ce deuxième numéro consacré aux fromages, j’avais envie de t’amener un peu dans le terroir de la Loire et plus précisément dans le Forez…Pour aller à la découverte d’une petite pépite délicate, à pâte persillée (bleue)… en 2018, j’ai participé à la fête de la Fourme. C’est-à-dire que je n’ai pas tordu le nez, je n’ai pas snobé la ville, j’y suis allée et j’y suis allée à fond ! Du miel des apiculteurs du coin, aux bières brassées dans le Forez à la découverte…de la jolie histoire de la Fourme de Montbrison.
Combien de fois je me suis moquée de ma mère qui a fait voyager cette Fourme un peu de partout ? J’ai arrêté de le faire le jour où je l’ai embarquée à Shanghai avec un morceau de parmesan. Combien de fois je n’ai pas compris que mes amis s’obstinent à ne pas manger celle d’Ambert en soutien à celle de Montbrison ? J’ai compris le jour où j’ai écouté le fromager m’en parler. Il avait la passion des hommes qui aiment leur métier et la simplicité des mots des personnes qui ont envie de transmettre leur passion. Après XX années de vie dans ce coin (oui je te fais une petite coquetterie mignonnerie), ce monsieur a changé mon rapport au Forez en un meulage de fourme !

Le Fashion cheese
La Fourme de Montbrison est l’un des fromages français les plus anciens (en1200 il y a la trace des premiers textes qui en parlent…avoue c’est un peu fou ! Et pourtant, il n’a été reconnu AOC à part entière que très récemment : jusqu’en 2002 il partageait son appellation avec le Fourme d’Ambert…Tu n’imagines pas l’affront tant que tu n’as pas compris la fierté des montbrisonnais d’avoir leur fourme !
Ce sont deux fromages distincts et leur différence se fait notamment sur le sel :
- celle de Montbrison est salée dans la masse du caillé (en gros comme si tu salais ta pâte avant de la faire reposer)
- celle d’Ambert est salée une fois séchée (soit à sec soit avec de la saumure)…
Oui bon, ça paraît anecdotique lu comme ça, mais quand tu goûtes et que tu vois les deux, tu comprends que ce n’est pas juste cosmétique.La consécration ultime a été donné par l’obtention de l’ AOP (Appellation d’origine protégée) et l’inscription par l’UNESCO comme patrimoine immatériel….Et là boum soudain, tout le monde parle de Fourme de Zibron : elle est passée de petite sœur oublié à fashion cheese !
Les règles de fabrication
Notre jolie fourme doit affiner 32 jours sur une forme en bois épicéa et toutes les 12h elle est tournée d’un quart de tour pour qu’elle garde bien sa forme …Mais ce n’est pas cela qui la rend spéciale…Son côté précieux vient de sa rareté : il n’ y a aujourd’hui que 5 fromageries artisanales qui produisent de la Fourme de Montbrison, le savoir-faire, les gestes doivent être connus et transmis pour que ce fromage continuent à nous régaler et à faire aimer le terroir français même aux plus récalcitrantes…Achète et découvre la Fourme de Montbrison et demande-moi des recettes !
On te laisse nous partager ton fromage préféré, les FoodMood aiment te lire !
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