J’ai rencontré Jeanne au cours d’un dîner dans le restaurant où elle office en tant que sommelière. J’aime le vin, la sensation qu’il procure sur mes papilles et aussi dans mon corps. J’aime oui, mais alors je ne suis que complexes. Sentiment d’angoisse lorsqu’on me propose de goûter, sûrement un stress de la prestation : que puis-je dire d’intéressant sur cette gorgée ? Sûrement une très belle banalité, comme “oui, c’est très bien”. Le monde de l’œnologie me remercie pour tant d’audace. Puis il y a aussi cette angoisse lorsque tu dois acheter une bouteille. Que ce soit en grande surface ou chez le caviste : comment choisir ? Quoi dire pour faire croire que quand même, suis pas vierge en vin? Bref ça me stresse et je passe automatiquement pour celle que je ne suis pas : une pimbèche ou une fausse sachante. Jeanne, elle n’a pas rigolé à ma question que de plus je posais pour le compte de la personne qui m’accompagnait. Ah le courage des hommes quand ils doivent prendre la parole et se montrer vulnérables. Mais ça c’est une histoire. Saches juste, que nous débattions sur le vin beurré et sa signification. Et elle m’a répondu avec douceur et écoute. Je me suis donc sentie autorisée à lui parler comme à un être normal, sans complexes d’infériorité. Oui, Jeanne était la bonne personne pour cette interview spéciale décomplexé.e.s du vin !
Nous nous retrouvons au Diggers, un chocolat shop de la presqu’île lyonnaise. Jeanne arrive, avec sa finesse, son belle chevelure brune et son sourire franc. Elle me rejoint à la fin de son service du midi avant de partir faire une petite sieste et rattaquer le soir. Elle commande un latte et je me dis que décidemment, le latte est la boissons des amateurs de vins (la réf ici !) !

Jeanne, lorsque je t’ai demandé cette interview, tu m’as dit que tu étais en reconversion…Tu peux nous parler de ton parcours ?
J’ai fait des études dans le commerce, avec le contact clients que j’aimais déjà beaucoup. J’ai travaillé longtemps devant un ordinateur. Puis pendant le confinement, je me suis rendue compte que je voulais être dans le rythme, dans l’action, la fatigue de l’ordinateur n’était pas la bonne fatigue pour moi. J’avais déjà eu des expériences courtes en la restauration et je savais que ça pouvait me plaire potentiellement. J’ai fait un bilan de compétences, très complet pendant 3 mois où l’objectif était de travailler sur ses passions…et le vin – qui a toujours été une passion – est ressorti. Et la voie qui paraissait la plus accessible et qui me séduisait le plus c’tait la sommellerie. Et là tout s’est enchaîné très vite : j’ai trouvé une formation à l’Université du Vin de Suze-la-Rousse. Puis, grâce à mon frère, pâtissier, qui m’a aidé à échanger avec des sommeliers, j’ai pu avoir un stage de deux jours dans un étoilé.
Tu as donc commencé ton parcours dans la sommellerie à l’envers…en intégrant tout de suite un étoilé !
Ah oui ! Mais c’était très formateur : c’est comme la conduite, je n’avais pas les réflexes d’une conductrice confirmée. J’ai tout appris en adoptant et intégrant les réflexes dictés par un étoilé. Ensuite c’est plus simple de t’adapter à d’autres environnements professionnels.
Ces deux jours de stages ont été les déclencheurs, il m’a tout de suite confronté à la réalité. Je n’avais jamais fait de service en sommellerie. Il me dit “tu vas à la table des clients, tu proposes les accords”… Je ne connaissais rien : il m’a juste fait goûter des vins et m’a demandé ce que j’en pensais, et il m’a laissé partir à la table ! Il m’a fait confiance et ouvert les portes. J’ai toujours été quelqu’un de pas très courageux : là je me suis dit que j’avais une vraie vraie chance à prendre, c’était mon moment !
Et à la suite de ces doux jours, ils m’ont proposé de travailler dans l’établissement les soirs, les week-end et la saison d’été !Oui, mais finalement cela m’a permis d’adopter tout de suite les bons réflexes et d’être tout de suite dans l’excellence.
Aujourd’hui tu as intégré le restaurant Culina Hortus, la référence de la cuisine végétarienne à Lyon. Tu m’as dit que c’était une évidence, pourquoi ?
Ah oui c’était une évidence! Déjà le lieu, pour ce qu’il représente. Il y a les exigences d’un restaurant étoilé, avec notamment la présence d’un sommelier, mais ça reste un service décontracté, avec une équipe jeune, on se porte, on peut faire des choses, être à l’initiative. Et puis la beauté du lieu : je m’y sens bien et en tant que salariée c’est aussi très important. Et puis le challenge de la cuisine végétarienne : on n’apprend pas à l’école ces accords et ça je trouve ça très stimulant : de chercher et découvrir d’autres accords.
Comment tu as appris à goûter les vins ? Tu dois avoir un excellent palais !
Ah c’est la première question que j’ai posé au sommelier qui m’a formé. Il était très fort, il participait à des concours. Je me demandais notamment si les palais avertis existaient, ou si des personnes naissent avec des prédispositions. La réponse est rassurante : bien entendu on a tous des sens plus ou moins aiguisés, mais les sens se travaillent, s’exercent, puis la mémoire olfactive doit s’exercer. Et le seul travail qu’il faut automatiquement faire c’est sentir, déguster, découvrir : il faut être curieux, tout le temps ! Il ne faut surtout pas se limiter à ce qu’on aime : il y a des familles de vins que j’aime plus ou moi, mais je continuerai à les goûter, tout le temps !

D’ailleurs je me suis toujours demandé, naïvement sûrement : est-ce que tu ne proposes que des vins dont tu sais qui les a produit et comment ?
Ah la rencontre avec les vignerons c’est la partie préférée de mon métier : c’est là où je me dis que je fais le meilleur métier du monde. Je suis au contact du produit, c’est le moment le plus sincère, le plus pure avec la terre. Le métier de vigneron est un métier à la fois lié à ce que donne la nature, avec la terrible contrainte dictée par la météo, mais également lié à leur savoir-faire. J’aimerais pouvoir aller tous les rencontrer, mais c’est évidemment très chronophage. J’ai plus tendance aujourd’hui à aller chez mon fournisseur, à lui faire confiance, à l’écouter parler des vignerons et me retranscrire ces histoires. Eux font ce travail de rencontre des vignerons systématiquement, moi j’y vais dès que je peux, parce que oui, il n’y a personne qui parle aussi bien du vin que le vigneron lui-même !
Jeune femme en reconversion, dans un milieu me semble-t-il encore assez conservateur et masculin…Comment on se fait une place ?
J’ai la chance aussi de démarrer avec le chef le plus bienveillant et humain possible (auprès du chef Laurent Deconink , l’Oustalet à Gigondas), mais évidemment ça n’ empêche les remarques par ailleurs…J’ai un tempérament à en vouloir en découdre, ça me fait pas peur de faire des remarques ou des réflexions, même si ça ne plaît pas. Evidemment j’ai été prévenue en intégrant ce monde, mais j’ai tendance à croire qu’aujourd’hui ça change petit à petit. Il faut que les filles n’hésitent pas à se lancer, en plus j’ai tendance à croire qu’on amène une nouvelle façon de conseiller le vin. Sur la scène gastronomique lyonnaise il commence à y avoir de sommelières qui changent le visage de ce monde, comme chez Regain ou les Apothicaires avec Lola ou Romane. Je m’identifie à cette nouvelle génération : bien sûr qu’il faut avoir la connaissance technique du vin, elle est nécessaire. Mais on doit le proposer différemment, en parlant d’émotions ! Bon, ces changements n’impactent pas encore dans les étoilés, où la figure du sommelier qui s’écoute parler est encore très très présente…
Si tu devais nous parler un peu plus précisément de vin, tu peux nous expliquer simplement les vins natures, conventionnels, bio ..;mettons un peu d’ordre dans tout ça !
Pour comprendre comment on fait le vin, il faut distinguer tout d’abord la vigne et la cave. Ce sont deux parties complétement différentes : souvent d’ailleurs les ouvriers agricoles se spécialisent soit sur la viti (la partie vigne, la culture) soit sur la vini (la vinification, la production du vin donc, la cave). Il peut donc y avoir des interventions sur la partie viti et la partie vini.
C’est comme s’il y avait une échelle. En bas tu as le vin dit conventionnel : il n’y a aucune restriction sur l’utilisation sur les traitements chimiques pour les traitements de la vigne ou dans la cave (ndlr : dans les limites écrites dans la législation encadrant cela, bien entendu).
Les vins produits en bio, vont pouvoir utiliser certains produits et avec des restrictions plus poussées en terme de grammages. Notamment pour les sulfites, on a le droit d’en mettre sur la vigne et pendant la vinification, dans des doses assez élevées par exemple au regard des vins naturels. Pour passer du conventionnel à une culture biologique il faut compter 4 ans.
La biodynamie ensuite, n’est pas forcément plus stricte par rapport au bio, mais ils vont intégrer des préconisations en fonction du calendrier lunaire et des préparations (notamment la buse dans les cornes enterrées pour traiter la vigne). Ce sont des traitements particuliers intégrés au cahier des charges de la biodynamie.
Les vins naturels, n’ont pas de certification. On va dire que sont considérés comme vins naturels, ceux qui ne mettent pas du tout de sulfites dans les vignes et dans la mise en bouteille entre 0 et 1 grammes. On joue aussi sur le côté non interventionniste : on peut soit laisser complétement le vin faire sa vie, ou alors d’autres vont bâtonner, contrôler les températures…Personnellement je n’aime pas ce mot, parce que d’une personne à une autre, je ne sais pas ce qu’il va entendre si je parle de vin naturel (nat). Certains aiment les vins nat, parce qu’ils aiment les vins faciles à boire : ce qu’on appelle aujourd’hui les vins glouglou, très juteux, très peu tanniques. Mais il y a aussi des vins qui ne sont pas natures et qui ont aussi cette texture là. A contrario, d’autres aiment le côté très réduit du vin naturel, il y a de la “volatile”, que ça sente le cul des vaches, la nature (rires), oui il y a aussi des clients pour ça. D’autres, qui ne veulent pas du tout de sulfites dans le vin qu’ils boivent. Il y a plein de choses qui rentrent en compte. Alors, pour conseiller, j’essaie de comprendre ce que le client aime du vin naturel. Je trouve le travail qui est fait par ces vignerons impressionnant et je suis pour le travail bien fait : j’aurais du mal à vendre un vin qui a un défaut de fabrication. C’est comme le café, s’il est mal torréfié, il aura un goût de brûlé, un client peut aimer ce goût brûlé mais ça voudrai quand même dire que dans la production il y aura eu un défaut de fabrication, j’aurais donc du mal à le vendre.
Justement…comment choisis-tu tes vins ? Comment se fait la carte chez Culina ?
Chez Culina, ontntn travaille de tout, avec des vignerons qui font du travail propre et qui respectent la nature. Depuis que je suis arrivée, j’ai commencé à travailler avec la carte qui était existante et petit à petit j’ai rentré une cinquantaine de nouvelles références en travaillant à la fois avec les fournisseurs et les domaines que je connais. La carte est dans le mouvement, j’ai très envie de ça, si tu reviens à Culina, j’ai envie que tu puisses continuer à découvrir de nouveaux vins. Et l’accord avec les mets est aussi très rapide ! La carte change toutes les 4 à 6 semaines et en général on goûté le nouveau menu le soir avant de le servir à 19h…Donc vers 18h, je goûte le menu et pendant 30 minutes je décèle les accords possibles et je démarre avec ce que j’ai un cave. Le premier soir du nouveau menu, je le dis aux clients, je travaille aussi avec leurs retours, leurs impressions.
Pour conclure Jeanne, j’aimerais savoir quels verres de vin t’ont laissé un souvenir vif dans ton palais !
Un Reisling Kabinett, un vin blanc allemand avec un peu de résidu sucré. Il y a une telle acidité qui marche très bien avec les desserts, ça apporte beaucoup de douceur, c’est très délicat. Je l’ai découvert à l’Oustalet.
Puis, je me souviens d’un vin de Loire savennières, que j’ai pu faire rentrer chez Culina, un vin gras, avec beaucoup de longueur et qui marche avec plein de choses !
Enfin, j’aimerais aussi parler d’un vin rouge…Ah, je sais. L’un des vins qui m’a plus marqué dans ma vie c’est ma première Cote-Rôtie, à 18 ans. C’est d’ailleurs le vin préféré de ma mère. Je serais incapable de dire d’où il provenait, mais j’ai adoré, j’ai compris pourquoi elle aime tant. Je me souviens qu’elle m’a dit : profite, tu ne pourras pas en boire tous les jours !!
C’est drôle, sur tes trois vins favoris, tu as eu une analyse très gustative, analytique des deux premiers et par contre sur le dernier j’ai l’impression que c’est le moment qui prend le dessus, tu n’en parles pas du tout pareil !
Il y a un côté quand je passe un bon moment, c’est le tout qui fait que c’est un bon moment. Un vin que je découvre dans le milieu professionnel il va vraiment me marquer parce que je suis dans l’analyse, en 5 minutes je le goûte. C’est un moment où je suis vraiment concentrée. Si le vin me touche, ça se passe en quelques minutes, c’est pour ça que c’est peut-être presque plus marquant. En famille ou avec des amis, le vin est plus facile à apprécier, je suis détendue et prise par le moment !
Si toi aussi tu veux te faire saisir par le moment, découvrir l’univers de Culina et aussi de jeanne, je ne peux que te conseiller de réserver (avec de l’avance) ton repas chez Culina Hortus, à Lyon !